La restauration d’un parc de Duchêne et sa réinterprétation contemporaine

Article paru dans la revue EBTS (European Boxwood and Topiary Society) en 2014

Le parc du Château de Maubranche

Un parc de Duchêne nécessite une restauration et un entretien qui sont très consommateurs de main d’œuvre. La restauration et son entretien sont donc des chantiers à envisager avec l’idée sous jacente ; comment mécaniser au maximum l’entretien futur car, en effet, la restauration est une chose mais ensuite il faut l’entretenir. Il y a donc des choix difficiles à faire.
Les Duchênes (1841-1947) Henri le père et Achille le fils ont été les sauveurs du jardin à la française : ils ont crée ou restauré 6000 jardins de par le monde, dont le célèbre jardin français aux 13 bassins à Blenheim chez le Duc de Malborough ou la restauration des jardins de Vaux le Vicomte sur les plans de Le Nôtre. A la suite de la révolution, pas un jardin ou parc n’a pu résister à la tourmente révolutionnaire, lorsque les émigrés ont pu racheter leurs biens et rentrer chez eux, ils se sont empressés de créer des parcs à l’anglaise comme ceux qu’ils avaient vus chez leurs hôtes. La mode romantique est venue amplifier ce phénomène. Les parcs du Comte de Choulot en sont l’illustration.
A la fin du XIXème, Henri Duchêne commence à entourer de nombreuses demeures françaises de parcs à la française. Cette intervention est souvent couplée à celle d’un architecte de renom tel que Sanson chargé d’agrandir la demeure.
Le jardin à la française se compose de quatre vues : les quatre points cardinaux ou les quatres côtés de la demeure et l’œil embrasse d’un coup et d’un seul chacune des vues. L’élément essentiel est la perspective : les points de fuite et les lignes d’horizon. Il faut que cela soit immédiatement agréable à l’œil. A ce propos, il faut lire le remarquable livre de René Pechère : la grammaire des jardins. Un des tests fondamentaux d’un jardin bien réussi, est la vue de la salle à manger : assis dans la salle à manger, on doit pouvoir embrasser la vue du parc en léger surplomb, à condition que la partie basse de l’embrasure des fenêtres ne soit pas trop haute, erreur fréquemment rencontrée !
On le voit, la philosophie du jardin à la française est radicalement différente du jardin romantique ou à l’anglaise. En France, on voit tout d’un coup, mais il peut y avoir des boquetaux à surprises avec des fabriques sur le côté des grandes perspectives. En Angleterre, dans les parcs, l’œil est flatté par des courbes de terrain ou d’horizon, dans les jardins, on va de surprises en surprises en visitant des « rooms » dont les murs sont en ifs et remplies de fleurs de saison. Enfin, il n’y a peu ou pas de fleurs dans les parcs de Duchêne, elles sont reléguées dans des jardins de fleurs à couper laissées aux bons soins du jardinier.
Ce long préambule pour étayer les choix à faire : la magie des parcs de Duchêne, c’est le dessin d’ensemble, la perspective. Il faut donc conserver de manière impérative les lignes au cm près. En effet en mesurant des rectangles de pelouse, on s’aperçoit que Duchêne a accentué la perpective en raccourcissant la largeur la plus éloignée du rectangle. Tout est soupesé, pensé !
Cette restauration n’aurait pas pu se faire sans l’aide très précieuse de Mesdames Michelle Quentin et Xaviere Desternes de l’Association des Parcs et Jardins de la Région Centre qui en ont établi un inventaire remarquablement complet.

Restauration du parc du château de Maubranche

Le redessiné du parterre à la fleur de lys

Le choix est cornélien : on peut refaire à l’identique le parterre du premier plan, mais il ne survivra pas a un besoin d’entretien permanent et lourd : taille manuelle des bordures de buis, arrachage manuel des mauvaises herbes poussant dans les buis et les graviers, taille bi-annuelles des bordures etc…
J’ai donc opté pour une simplification radicale, on garde l’esprit du motif : la fleur de lys. On garde le tracé du massif qui s’inscrit dans la perspective générale voulue par Duchêne, puis j’ai redessiné une fleur de lys plus large et plus imposante qui remplit l’hexagone.

Restauration du parc du château de Maubranche : la fleur de Lys

La réalisation pratique

On détermine l’axe de symétrie du dessin en se calant bien évidemment sur l’axe de symétrie du parc. Ce dernier a été recalé par un géomètre qui a installé des repères dans le sol que l’on peut retrouver facilement.
On tague le motif sur la pelouse avec une bombe à peinture orange quitte à le modifier. Ne pas oublier que seule la vue de la maison compte !
Les plaques de fer, encadrant le motif, sont fournies par le ferronnier et font 6 mètres de long, 15cm de haut et 5mm d’épaisseur. Elles sont tenues par des tiges à béton.
Le fond des motifs est recouvert de géotextile de façon à empêcher la remontée des mauvaises herbes et la descente des graviers posés dessus.
Enfin, on remplit les motifs de graviers de rivière, gros calibre (20/40) au fond et petit calibre (10/20) pour la couche de finition.
Il est important de mettre du gravier de rivière, qui peut coûter plus cher, car le gravier calcaire se délite et crée un substrat qui favorise la prolifération des mauvaises herbes.
Le boulingrin de 250 mètres de long a été recrée en un mois grâce à des pelleteuses guidées par rayon laser. La perspective est de 825 mètres de long.
Une grille copiée sur le modèle de Duchêne vient de compléter l’ensemble.

Restauration du parc du château de Maubranche

La restauration du parterre Sud

La réalisation d’un tel parterre est possible puisque les plans carreautés existent. Mais la demande d’entretien en main d’œuvre serait trop importante. La taille des 16 topiaires nécessite 3 heures une fois par an fin août ! Dans la lettre ci-dessous Duchêne décrit la difficulté avec laquelle il s’est heurté car le parterre est en fait totalement asymétrique.

Restauration du parc du château de Maubranche

La restauration de la vue Est
Quand Henri Duchêne est arrivé en 1896, il a fait raser tous les bâtiments et dépendances afin de créer un « tapis vert » et un placier avec des avenues qui partent en étoile.
La restauration de cette vue a été grandement facilitée car elle n’avait que très peu été touchée. Les allées ont été retrouveés et la vue sur les communs, contruits par Sanson a été dégagée. Les communs sont très similaires à ceux de Chaumont sur Loire car eux aussi ont été construits par Sanson. Les statues du placier sont les mêmes, une Athéna sculptée par Félix de Chaumont Quitry, le maitre d’œuvre, une diane chasseresse et deux sangliers assis.

Restauration du parc du château de Maubranche

Duchêne a utilisé le principe de perspective accélérée, c’est-à-dire que le tapis vert fait 25 mètres de large en bas et 23 mètres en haut : il parait plus long qu’il n’est en réalité. La grande surprise est venue de la découverte de haies de buis sempervirens ou rotondifolia qui étaient noyées sous la végétation. Un lamier a permis de les dégager et leur restauration est en cours.
La perspective de 425 mètres a été soulignée par la mise en place de topiaires d’ifs en cône. Il n’y avait pas d’ifs dans les parcs de Duchêne mais plutôt des buis car les baies de l’if sont mortelles pour les chevaux qui étaient très présents à cette époque.
A ce jour, l’entretien du parc est entièrement mécanisé et l’intervention manuelle rare.
Amaury de Chaumont Quitry

Restauration du parc du château de Maubranche